On a longtemps prêté à l’image le pouvoir de prendre vie. Souvenons-nous. De Zeuxis trompant les oiseaux avec ses raisins et Parrhasios trompant Zeuxis avec ses drapés. Des monothéismes qui ont tous, tôt ou tard, montré une méfiance envers l’image et l’artiste, concurrent de Dieu dans l’acte créatif, risquant d’insuffler la vie à un morceau de terre glaise. On se souvient aussi des sorciers vaudous et leurs fétiches qui jouent l’indistinction entre l'image et l’être envoûté. Ou encore du pied, si vivant, que découvre Poussin dans l’atelier de Frenhofer dans Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac.
Création, vie et image ont des liens ténus et immémoriaux, qui prennent actuellement une nouvelle tournure. Pour les tenants de la seconde génération de bio-art, la vie est devenue enjeu politique, sur fond de transhumanisme et de capitalisme de surveillance. C’est le cas de Heather Dewey-Hagborg qui crée des impressions 3D du visage de quidams, à partir des informations extraites du patrimoine génétique trouvé dans les cheveux, mégots et chewing-gums recueillis par l’artiste ça et là dans les rues de New York. Dans une recherche plus esthétique, d’autres artistes, employant le numérique et des concepts tels que la générativité, l’interactivité ou l’hybridation, comme Miguel Chevalier, cherchent à produire des images vivantes, sans autre référent qu’elles-mêmes, agissant en fonction de celui qui les regarde.
Fabien Léaustic, lui, intègre la vie, la vie biologique, à son processus créatif, dans des dispositifs qui encadrent sa croissance. Il ne fait pas illusion de vie, il l’utilise pour faire image. L’installation Ruines, présentée au 104 pour la Biennale Nemo, regroupe huits monolithes, de tailles variables, qui se dressent dans l’une des alcôves du musée, agrémentée d’un dispositif d’écoulement d’eau et de plusieurs spots de chantier hackés en lampe agricoles. Sur les huit monolithes, Fabien Léaustic a disposé, au début de l’exposition, des phytoplanctons. D’abord d’un vert léger, les monolithes se sont assombris avec la croissance des organismes ; ils se sont chargés d’une matière sombre, algueuse ; certains ont commencé à décroître, en jaunissant légèrement, d’autres ont été attaqués par les champignons. L’installation a vécu. Ruines vient comme l’approfondissement d’une première installation montrée au Palais de Tokyo [Monolithe, 2015-2017] et s’apparente aussi à d’autres projets, où Fabien Léaustic encadrait la croissance de cyprès en contrôlant lumière et eau [Eau de Paris - Cyprès, 2016].
Ruines, c’est une installation organique — ce n’est pas si fréquent d’employer ce mot dans son sens littéral — qui permet de considérer l’exposition non comme un absolu, un objet figé, mais comme un processus évolutif, qui croît et parfois même décline, puis meurt. Une œuvre spatiale et temporelle ; un passage du white cube au labo. Il faut dire qu’avant sa formation artistique, Fabien Léaustic a arpenté les bancs d’une école d’ingénieurs. De cela, il a gardé le goût du fait scientifique, de l’expérience, du protocole.
Création, vie et image ont des liens ténus et immémoriaux, qui prennent actuellement une nouvelle tournure. Pour les tenants de la seconde génération de bio-art, la vie est devenue enjeu politique, sur fond de transhumanisme et de capitalisme de surveillance. C’est le cas de Heather Dewey-Hagborg qui crée des impressions 3D du visage de quidams, à partir des informations extraites du patrimoine génétique trouvé dans les cheveux, mégots et chewing-gums recueillis par l’artiste ça et là dans les rues de New York. Dans une recherche plus esthétique, d’autres artistes, employant le numérique et des concepts tels que la générativité, l’interactivité ou l’hybridation, comme Miguel Chevalier, cherchent à produire des images vivantes, sans autre référent qu’elles-mêmes, agissant en fonction de celui qui les regarde.
Fabien Léaustic, lui, intègre la vie, la vie biologique, à son processus créatif, dans des dispositifs qui encadrent sa croissance. Il ne fait pas illusion de vie, il l’utilise pour faire image. L’installation Ruines, présentée au 104 pour la Biennale Nemo, regroupe huits monolithes, de tailles variables, qui se dressent dans l’une des alcôves du musée, agrémentée d’un dispositif d’écoulement d’eau et de plusieurs spots de chantier hackés en lampe agricoles. Sur les huit monolithes, Fabien Léaustic a disposé, au début de l’exposition, des phytoplanctons. D’abord d’un vert léger, les monolithes se sont assombris avec la croissance des organismes ; ils se sont chargés d’une matière sombre, algueuse ; certains ont commencé à décroître, en jaunissant légèrement, d’autres ont été attaqués par les champignons. L’installation a vécu. Ruines vient comme l’approfondissement d’une première installation montrée au Palais de Tokyo [Monolithe, 2015-2017] et s’apparente aussi à d’autres projets, où Fabien Léaustic encadrait la croissance de cyprès en contrôlant lumière et eau [Eau de Paris - Cyprès, 2016].
Ruines, c’est une installation organique — ce n’est pas si fréquent d’employer ce mot dans son sens littéral — qui permet de considérer l’exposition non comme un absolu, un objet figé, mais comme un processus évolutif, qui croît et parfois même décline, puis meurt. Une œuvre spatiale et temporelle ; un passage du white cube au labo. Il faut dire qu’avant sa formation artistique, Fabien Léaustic a arpenté les bancs d’une école d’ingénieurs. De cela, il a gardé le goût du fait scientifique, de l’expérience, du protocole.
Faire du vivant un matériau de création. Il convient de distinguer cela du bio-art, plus câblé avec les biotechnologies. Ici, la biologie suffit. Elle suffit pour dévoiler les marges du visible — les phytoplanctons sont des micro-organismes invisibles à l’œil nu —, et un processus de croissance, et donc d’économie. Ce qu’il y a de fascinant avec ces monolithes, ce sont aussi les échanges qu’ils entretiennent avec leur milieu et la manière dont ceux-ci conditionnent leur devenir. Devenir conditionné par l’air, la température, et les particules drainées par les spectateurs — ce que prouvent les champignons retrouvé sur l’un d’entre eux.
Comme d’autres artistes de sa génération, Verena Friedrich ou Hicham Berrada, Fabien Léaustic développe une pratique qui mêle l’esthétique des dispositifs scientifiques et/ou l’emploi de protocoles expérimentaux, à l’émerveillement de phénomènes très simples. Ce peut être l’odeur du jasmin chez Hicham Berrada ou la lévitation d’une bulle de savon chez Verena Friedrich. Chez Fabien Léaustic, c’est la légère cristallisation qui se fait à la surface du thé [Théinographies, 2017], la rétractation de la boue qui sèche [Abri, 2016] la révélation de pixels à l’écran grâce à la diffraction d’une goutte de résine [La couleur des nuages, 2016], ou, bien sûr, la croissance d’organismes vivants. Un art de protocole qui permet d’approfondir et de jouer avec des concepts clés de l’art moderne et contemporain — la croissance, l’auto-générativité, le hasard.
Enfin, avec une telle installation, comment ne pas s’arrêter sur son titre, Ruines ? Les monolithes de Fabien Léaustic adoptent le langage du majestueux ; ils ne sont pas sans rappeler une esthétique du monument, et de sa forme, bien souvent phallique. Sauf que s’y passe ce retournement amusant. Les monuments que l’on construit généralement dans la dureté du minéral, marbre et granit en premier lieu, ici sont constitués de fragiles tissus et d’encore plus fragiles organismes. Doit-on y voir un symbole écologique en apprenant que ces petits organismes fragiles, algues et bactéries, produisent par photosynthèse 50 % de l’oxygène de la planète, tout en étant à la base de la chaîne alimentaire maritime ? En tout cas, ces Ruines, surtout si l’on se rappelle que dans 2001, A Space Odyssey, le monolithe est synonyme de progrès et de savoir, ces Ruines en croissance et en déclin, s’apparentent de plus en plus à des vanités modernes.
Texte : Clément Thibault - 2018
Comme d’autres artistes de sa génération, Verena Friedrich ou Hicham Berrada, Fabien Léaustic développe une pratique qui mêle l’esthétique des dispositifs scientifiques et/ou l’emploi de protocoles expérimentaux, à l’émerveillement de phénomènes très simples. Ce peut être l’odeur du jasmin chez Hicham Berrada ou la lévitation d’une bulle de savon chez Verena Friedrich. Chez Fabien Léaustic, c’est la légère cristallisation qui se fait à la surface du thé [Théinographies, 2017], la rétractation de la boue qui sèche [Abri, 2016] la révélation de pixels à l’écran grâce à la diffraction d’une goutte de résine [La couleur des nuages, 2016], ou, bien sûr, la croissance d’organismes vivants. Un art de protocole qui permet d’approfondir et de jouer avec des concepts clés de l’art moderne et contemporain — la croissance, l’auto-générativité, le hasard.
Enfin, avec une telle installation, comment ne pas s’arrêter sur son titre, Ruines ? Les monolithes de Fabien Léaustic adoptent le langage du majestueux ; ils ne sont pas sans rappeler une esthétique du monument, et de sa forme, bien souvent phallique. Sauf que s’y passe ce retournement amusant. Les monuments que l’on construit généralement dans la dureté du minéral, marbre et granit en premier lieu, ici sont constitués de fragiles tissus et d’encore plus fragiles organismes. Doit-on y voir un symbole écologique en apprenant que ces petits organismes fragiles, algues et bactéries, produisent par photosynthèse 50 % de l’oxygène de la planète, tout en étant à la base de la chaîne alimentaire maritime ? En tout cas, ces Ruines, surtout si l’on se rappelle que dans 2001, A Space Odyssey, le monolithe est synonyme de progrès et de savoir, ces Ruines en croissance et en déclin, s’apparentent de plus en plus à des vanités modernes.
Texte : Clément Thibault - 2018