La Terre est-elle ronde?
2019
Boue de forage en mouvement.
Perforation murale : 410 x 320 cm.
« La Terre est-elle ronde? » sonne comme une satire qui convie à la table des débats critiques les théories conspirationnistes et négationnistes dites de la « Terre plate » aux côtés des collapsologues, décroissants, et catastrophistes de tout poil derrière lesquels il semble plutôt se ranger. Ce pied de nez peut-il être vu comme un acte de dés-illusionnisme, invitant à regarder au-delà des apparences et des jeux d'esprit, pour se poser la question de ce en quoi on peut croire à l'époque de l'incertitude quant à notre devenir même d'humains ? L'installation nous immerge dans une scénographie qui nous dépasse et nous invite à admirer les effets de ce futur qui pourrait nous broyer. Dans un espace obscur le visiteur est confronté à un appareillage impressionnant, qui règle la chute d'une masse terreuse épaisse et néanmoins fluide au sein d'une ellipse verticale. Cette coulée d’argile de 6 mètres de hauteur qui s'encadre dans une paroi violemment excavée, réfère explicitement, à la manière d'un tableau vivant, aux phénomènes géologiques aussi impressionnants qu'effroyables qui menacent de survenir de manière de plus en plus répétitive entraînant ruptures de digues, coulées de boue, glissements de terrain, torrents de lave...
Les mouvements souterrains de la croute terrestre sont là représentés à une dimension qui nous dépasse, féérique ou cauchemardesque, selon les opinions de chacun. Le cycle, la suite d'événements qui s'enchaînent et se répètent, le réemploi, le déclin, la naissance, sont des thématiques fortes dans la démarche de Léaustic qui est convaincu que « l'être humain fait partie d'un tout, il se sert mais il sert aussi la nature. Je veux communiquer visuellement sur les choses. Pas générer un objet mais générer une pensée, dit-il. Cet ensemble met en acte des choix de production, d'images, d'événements pour aider le spectateur à produire ses concepts. A partir de l'association d'une matière, d'un mouvement, d'une forme, en la vidant de toute moralisation, je cherche à déterminer comment on peut générer une réflexion sur le monde en passant par la contemplation, le sublime, l'émerveillement, la curiosité. L'argile est une matière créée par arrachement aux roches, par érosion. Quand on manipule de la Terre on est en lien avec l'histoire de l'humanité. Dans La Terre est-elle ronde ? la chute perpétuelle de terre donne l'illusion de voir une infinité de matière qui se trouve sur la planète, inépuisable. »
On peut interpréter de bien des façons cette œuvre, y voir un processus de métamorphose où la terre se régénère ou bien l'annonce d'une dystopie, la représentation de la catastrophe, de la submersion totale. « Ces deux angles ne sont pas incompatibles, estime Léaustic. La phénoménologie qu'on retrouve dans les cataclysmes naturels participe à une esthétique de la catastrophe qui place le regardeur entre répulsion et attraction, effroi et attirance. Dans le déchirement que je génère on peut apprécier à la fois la sensualité de la coulée de boue et la violence de l'éclatement du mur. Cette dualité ambivalente est un fil sur lequel je marche et à laquelle participe la dimension sonore presque oppressante, captée sur le dispositif et amplifiée en infrabasses mettant l’accent sur le pouvoir tellurique des éléments mis en jeu » explique Léaustic.
Texte d’Anne-Marie Morice en Janvier 2020 pour Trans/Verse, plate-forme contributive sur l'art contemporain.
« La Terre est-elle ronde? ». Tel est le titre énigmatique de la dernière œuvre que Fabien Leaustic présente au 104 à Paris dans le cadre de la Biennale Nemo. La question que nous soumet ici l’artiste semble appeler une réponse irréfutable. Pourtant derrière l’évidence, c’est bien toute la complexité et la charge mystique de notre rapport à la terre que Fabien Leaustic questionne au travers de cette oeuvre. Par le biais d’un dispositif immersif à la beauté hypnotique, le spectateur est happé par un flux de boue dégoulinant le long d’un des 4 murs du cube constituant l’espace d’exposition. La matière chaude, vivante, originelle qui coule tel un liquide vital semble provenir du plus profond de la terre et irriguer ses entrailles. Dans le corps à corps avec cette terre, le spectateur se souvient qu’il vient de là. Elle lui est familière. Il a été façonné dans la boue. Son sang bat à l’unisson de sa pulsation majestueuse et il y retournera selon un cycle immuable qui n’est pas mortifère mais créateur. Cette terre est sa matrice bienfaisante et l’œuvre de Fabien Leaustic ouvre sa conscience à sa beauté, son énergie et sa puissance tellurique.
L’attraction de cette matière est telle qu’il faut un certain temps pour réaliser la présence de la paroi qui occulte en partie ce processus d’écoulement envoutant. Cet écran écorché, déchiqueté est-il une métaphore de la distance voir de la barrière que notre monde technique soit disant civilisé a interposé entre nous et la terre ? Il semble en effet que nous ayons besoin de quelqu’un, de quelque chose, peut être même d’un événement irrévocable qui vienne percer notre oubli, déchirer notre aveuglement comme un éclair, une lucidité de l’esprit qui nous permette de nous reconnecter physiquement à sa beauté et à sa force. Cette trouée violente et pourtant harmonieuse, Fabien Leaustic l’a voulue ovale. Ovale comme une forme maternelle meurtrie mais encore accueillante, ovale comme un oeil blessé mais néanmoins grand ouvert. Ovale et non pas ronde! Calembour formel en écho au titre de l’œuvre qui résonne indéniablement de façon durable et profonde.
Texte de Laure Boucomont en novembre 2019 à l'occasion de l'exposition "Jusqu'ici tout va bien? au CENTQUATRE-Paris.
Le brondissement qui sourd de la pièce où est exposée l’œuvre de Fabien Léaustic « La Terre est-elle ronde? » happe le corps vers un rideau de boue comme une coulée inlassable. Épaisse et lourde cette matière évoque l’étouffement de paysages fictionnels, pourtant bien réels. Nous reviennent en mémoire, les hectares ensevelis par les résidus de bauxite produits par l’usine Ajkai Timfoldgyar Zrt en Hongrie en octobre 2010, qui transforma une portion du Danube en rivière rouge et toxique ; ou ceux qui bordent discrètement les marges cachées de la cité phocéenne, là où l’excédent de ce matériau, qui sert dans la fabrication de l’aluminium, submerge de façon inexorable les terres et fonds marins sur lesquels elle se répand. L’artiste donne à voir par son installation hypnotique le mouvement infini de ce qui pourrait être une source souterraine. La tectonique qui se déploie dans cette pièce, fait du regardeur un témoin des forces géologiques engagées dans les profondeurs de la Terre, au même titre qu’elle interroge les acteurs de la destruction des écosystèmes dans les temps que nous traversons.
Texte de Eugénie Denarnaud en novembre 2020 pour la revue “Les carnets du paysage” en 2020.